
Constitue un abus de droit, l’apport de titres à une société à l’IS suivi de la réduction de capital de la société dont les titres ont été apportés, même s’il n’y a eu ni désinvestissement ni attribution de liquidités.
Le contribuable perd alors le bénéfice du sursis d’imposition de la plus-value d’apport.
L’abus de droit permet d’écarter l’interposition de la société civile et autorise la qualification de la plus-value en traitements et salaires.
Mais la taxation de cette plus-value en salaire dans le cadre d’un management package suppose que soit établie l’existence d’un avantage financier consenti par l’employeur à raison des fonctions exercées par l’intéressé.
Les contribuables avaient constitué une société civile patrimoniale : BJPG Participations.
Ils ont ensuite apporté à cette société, les titres qu’ils détenaient dans la société Compagnie de l’Audon (CDA). BJPG Participations ayant opté à l’IS, la plus-value d’apport était en sursis d’imposition (article 150-0 B du CGI).
Moins d’un mois après l’apport, CDA a racheté ses propres titres, pour un prix identique à la valeur d’apport, attribuant à BJPG Participations les titres qu’elle détenait elle-même dans Wendel Investissement et, accessoirement, des parts de Sicav monétaires.
L’administration fiscale a fait valoir que l’apport avait eu pour « seul objet d’éviter l’imposition immédiate » de la plus-value qui aurait résulté de la réduction de capital.
Mettant en œuvre la procédure d’abus de droit, elle a écarté l’application du sursis.
De plus, considérant que cette plus-value correspondait pour partie à une rémunération attribuée dans le cadre d’un management package, elle a imposé le revenu en traitements et salaires, le surplus du gain ayant été taxé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.
Le conseil d’Etat juge que :
- « l’apport des titres a permis aux requérants d’entrer artificiellement dans les prévisions de l’article 150-0-B du code général des impôts en évitant l’imposition à laquelle ils auraient été soumis du fait du rachat de ses propres titres par la société CDA ;
- Par conséquent alors même que les requérants soutiennent qu’ils n’ont reçu aucune liquidité et n’ont réalisé aucun désinvestissement, l’apport des titres et l’interposition de la société civile doivent être regardés comme ayant poursuivi un but exclusivement fiscal et comme nécessairement contraires à l’objectif poursuivi par le législateur » ;
- Toutefois « En jugeant ainsi que le gain litigieux devait être regardé comme un complément de salaire, sans caractériser l’existence d’un avantage financier consenti [au contribuable] par la société Wendel Investissement à raison de ses fonctions de cadre dirigeant dont procèderait ce gain, la cour a commis une erreur de droit ».

“ Le mieux est l’ennemi du bien ”
Le Conseil d’Etat a déjà eu à connaitre d’opérations relativement similaires dans les affaires WENDEL (27 juin 2019 n° 420262 et n° 420382).
Mais dans ces affaires, les sociétés civiles n’avaient pas opté à l’IS, et l’administration fiscale n’avait pas mis en œuvre la procédure d’abus de droit.
Le juge avait donc refusé la taxation en traitements et salaires, dès lors que, faute de remise en cause de l’interposition de la société sur le fondement de l’abus de droit, le revenu réalisé par la société ne pouvait pas être considéré comme appréhendé par le contribuable lui-même.
Au cas présent, l’option à l’IS prise par la société civile a permis au contribuable de bénéficier du sursis d’imposition… et à l’administration de mettre en œuvre la procédure d’abus de droit.
Et en écartant ainsi l’interposition de la société civile bénéficiaire de l’apport, l’administration fiscale peut non seulement neutraliser le sursis d’imposition mais également taxer la plus-value en traitements et salaires.
Il faudra toutefois attendre la décision de la juridiction de renvoi, pour savoir si la plus-value peut être considérée comme constitutif d’un avantage financier consenti au contribuable par la société Wendel Investissement à raison de ses fonctions de cadre dirigeant.
En l’absence de versement de liquidités, la solution ne semble pas évidente.
NB : La solution reste intéressante dans le cadre du régime du report applicable depuis le 14 novembre 2012.
Elle met en effet en évidence une situation où faute de désinvestissement la condition de réinvestissement du prix de cession des titres ne peut être remplie. Elle conduit donc à la taxation de la plus-value en report, y compris si les titres reçus en contrepartie de la réduction de capital sont ceux d’une société opérationnelle.
En effet ce n’est que dans l’hypothèse d’une absorption de la société dont les titres ont été apportés que l’administration fiscale admet le maintien du report d’imposition.

Il appartient au contribuable de justifier tant du montant des charges qu’il entend déduire du bénéfice net défini à l’article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c’est-à-dire du principe même de leur déductibilité.
Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l’existence et la valeur de la contrepartie qu’il en a retirées.
Une société française ayant pour activité le négoce de bouchons de Liège importés du Portugal s’approvisionnait auprès d’une société espagnole, ayant le même dirigeant. La société espagnole réalisait une marge brute de 15% à la revente.
L’administration fiscale a rehaussé les résultats de la société française considérant que celle-ci n’apportait pas la preuve de la contrepartie matérielle effective réalisée par la société espagnole de sorte que ces dépenses constituaient un acte anormal de gestion.
Le Conseil d’État a relevé que la société espagnole était domiciliée dans un cabinet de conseil, n’avait pas de salarié et la marchandise était directement livrée du Portugal en France, de sorte qu’il n’était pas démontré que la société espagnole réalisait de manière effective comme elle le prétendait des prestations de « direction des prélèvements et des analyses du Liège portugais ».
Il a donc jugé que la société française ne démontrait pas plus la réalité des prestations facturées par la société espagnole en invoquant l’opportunité d’intégrer des réseaux économiques catalans du secteur du liège ni par l’opportunité de développer son activité.

Le Conseil d’Etat se livre à une « analyse fonctionnelle » classique en matière de prix de transfert, consistant à déterminer quels sont les fonctions et les risques assumés par chacune des entités participant à la transaction.
En l’espèce les conclusions de cette analyse étaient radicales : selon le juge la société espagnole n’avait pas de réelle fonction. Il ne pouvait donc lui être attribué aucune rémunération.
Malheureusement, la majoration de 40 % pour manquement délibéré ayant été maintenue, le contribuable perd la possibilité d’obtenir la neutralisation des impositions supportées en Espagne dans le cadre des procédures amiables prévues par la convention franco-espagnole et la directive UE n°2017/1852.

Il résulte des dispositions de l’article R. 196-3 du livre des procédures fiscales que le contribuable ayant fait l’objet d’une procédure de reprise ou de rectification dispose d’un délai spécial pour présenter ses propres réclamations, expirant le 31 décembre de la 3e année suivant celle au cours de laquelle cette procédure est intervenue.
La société mère d’un groupe fiscalement intégré a, en tant que redevable unique des impositions du groupe, qualité pour contester, dans ce délai, les impositions primitives et supplémentaires découlant de l’activité d’une société membre du groupe, qui a fait l’objet d’une procédure de reprise.
Toutefois la circonstance que la société mère ait fait l’objet d’une procédure de reprise sur ses résultats propres, ne lui confère pas le droit de contester les impositions primitives découlant des bénéfices des autres sociétés intégrées.
La Cour administrative d’appel de Versailles adopte la position suivante :
1 – Arrêt du 3 décembre 2019
Suite à la jurisprudence « Steria » (CJUE 2 septembre 2015 n° 386/14, Groupe Steria SCA), la société VICAT, mère d’un groupe intégré fiscalement, a déposé une réclamation pour obtenir la déduction de la quote-part de frais et charges relative aux distributions effectuées par sa sous filiale italienne à sa filiale Parficim.
Ayant précédemment reçu une proposition de rectification, la société VICAT se prévalait du délai spécial de réclamation.
La cour administrative d’appel de Versailles juge que la proposition de rectification reçue par la société VICAT ne visant que son résultat propre, la société ne pouvait pas se prévaloir du délai spécial de réclamation pour obtenir un dégrèvement à raison du résultat imposable de sa filiale.
Le délai de réclamation spécial dont la société VICAT bénéficiait ne pouvait porter que sur les impositions résultant des résultats propres visés par la proposition de rectification.
2 – Arrêt du 19 novembre 2019
Les faits soumis à l’appréciation de la Cour administrative d’appel de Versailles étaient proches de ceux exposés auparavant, mais la réclamation introduite par la société Accor portait sur les impositions résultant de ses résultats propres.
Le délai spécial de réclamation trouvait donc à s’appliquer.
Mais la société Accor tentait que faire valoir que le point de départ de ce délai spécial de réclamation courait à compter de l’avis de mise en recouvrement.
La Cour administrative d’appel rappelle que si le délai général de réclamation court à compter du recouvrement des impositions contestées, le délai spécial court à compter de la proposition de rectification.

La cour administrative d’appel de Versailles reste dans la ligne de sa jurisprudence antérieure (CAA Versailles 17-1-2012 no 10VE04145, Sté Crédit Lyonnais, C +, définitif), selon laquelle une société mère ne peut se prévaloir du délai spécial de réclamation que pour contester « les impositions primitives et supplémentaires découlant de l’activité d’une filiale intégrée qui a fait l’objet d’une procédure de reprise » et que « la circonstance que la société mère fasse elle-même l’objet d’une procédure de reprise, à raison de ses propres impositions, au titre d’une année, ne lui confère pas le droit de contester les impositions primitives assises sur les bénéfices de sa filiale lorsque cette dernière n’a pas fait elle-même l’objet d’une procédure de reprise, à raison de ses propres bénéfices, au titre de la même année ».
Cette jurisprudence est toutefois l’occasion de rappeler que le délai spécial de réclamation peut constituer un réel avantage. Il permet en effet de revenir sur la totalité de l’imposition initiale quel que soit le montant de la rectification et s’applique même si la proposition de rectification est abandonnée avant mise en recouvrement.
Le contribuable avant de chercher à éviter une proposition de rectification (par exemple en acceptant une procédure de régularisation prévue par l’article L 62 du LPF), doit donc s’assurer qu’il n’a pas matière à contester l’imposition initiale.